Quatrième suspect dans les échecs passés de la voiture électrique : Les constructeurs automobiles

Les autres suspects de la mort de la voiture electrique :

  1. Les consommateurs,
  2. Les compagnies pétrolières,
  3. Les performances limités de la batterie,
  4. Les constructeurs automobiles,
  5. Les pouvoirs publics,

 

I – Le talon-pointe des constructeurs automobiles

Le rôle des constructeurs automobiles pour la mise sur le marché de voitures électriques semble ambigu. D’un coté, nous avons vu que de nombreux programmes de recherches sur la voiture écologique avaient été lancés pour aboutir à des prototypes performants de véhicules électriques. D’un autre coté, il semble que la volonté d’industrialiser ces automobiles électriques et de les mettre sur le marché a manqué, comme en témoignent les campagnes de publicité médiocre de l’EV1 de Général Motors. En France également, les programmes de développement autour de la voiture electrique n’ont jamais débouché sur une industrialisation et une distribution massive des voitures propres en concession.

Et pour cause : les programmes de développement des voitures electriques n’ont pas nécessairement eu pour finalité de mettre sur le marché un véhicule propre. Ils ont systématiquement eu des causes exogènes aux stratégies commerciales des constructeurs automobiles. Les motivations ont notamment été :

●  D’ordre marketing : les programmes de recherche sur la voiture électrique ont largement servi de support de communication à l’image de l’entreprise. Le retour sur investissement des programmes de développement  de véhicules électriques était attendu en termes de gain d’image de marque, et non en nombre de véhicules électriques commercialisés. Les manufacturiers développent de coûteuses Formule 1 pour mettre en avant leur savoir- faire technique et le haut niveau technologique de leurs véhicules, et non pour les commercialiser ! Il en a souvent été de même pour les voitures électriques : le programme visait à communiquer sur la compétence environnementale et le thème de l’économie d’énergie, au même titre que les concepts cars mettent en avant le style de design de la marque. Mais dans l’esprit, ces programmes de voitures électriques n’ont pas vocation à se transformer en succès commercial.

●  Sous la contrainte d’autorités administratives : le point de départ des programmes de véhicule électrique n’a jamais été lié à la détection d’une évolution du marché. Ces programmes ont généralement eu pour point de départ des faits politiques ou des volontés publiques. Les liens entre les autorités publiques et les constructeurs sont en effet très étroits : les constructeurs sont de gros employeurs et donc, des acteurs incontournables du marché de l’emploi de certaines régions. Ils réalisent également de gros investissements industriels. Leurs ventes sont également liées aux mesures fiscales prises par les pouvoirs publics (taxe carbone, prime à la casse, subventions, …). La collusion d’intérêts est donc importante entre pouvoir publiques et constructeurs automobiles. Rappelons par exemple que l’état français détient 15% du capital de Renault et l’a sauvé au même titre que PSA avec un prêt de 3 milliards d’euros pendant la dernière crise. Sans aller plus loin dans le détail, nous comprenons que la mise en place de programmes de recherche sur la voiture électrique s’est faite par le passé sur une initiative partagée entre pouvoirs publiques et constructeurs automobiles. De ce fait, certains programmes sur la voiture electrique ont été réalisés sous une certaine contrainte par les constructeurs. Le développement de prototypes de voitures électriques était souvent la clé de l’obtention d’importantes subventions, en France par exemple lors de la crise de 2008, ou en Californie lorsqu’il a été décrété que les constructeurs ne pouvaient continuer de faire leur métier que si 5% de leurs ventes étaient des voitures écologiques. Le développent de l’automobile électrique a ainsi souvent relevé du fait politique et non économique.

Dans ces conditions, nous comprenons que les programmes de voitures durables ont eu pour finalité première le développement de prototypes et étaient guidés par une vision dans laquelle les rationalités du marché étaient lointaines. Aussi, si les constructeurs automobiles ont pu se montrer enthousiastes dans la mise en place de programmes de recherche sur la voiture électrique, ces derniers se sont retrouvés en position inconfortable lorsque les véhicules électriques ont été mis au point et prêts à être livrés sur le marché.

 

II – Des actions contre la Voiture Électrique

 

Les constructeurs automobiles n’ont ainsi pas hésité à tuer dans l’œuf les embryons de leurs propres projets de voitures écologiques, aussi coûteux qu’ils aient été à mettre en place. Par exemple, pour le cas de l’EV1 en Californie, une note confidentielle de l’AAMA (Association Américaine des Constructeurs Automobiles) de 1995 révèle la volonté de mettre en place une campagne populaire pour créer un climat de défiance au véhicule électrique. Dans le même temps, tous les constructeurs poursuivaient de coûteux programmes de développement sur la mobilité durable.

 

Document-association automobile

Extrait d'une note confidentielle de l'Association Américaine des Constructeurs Automobile, selon le documentaire de Chris Paine "Who killed the electric car"

Certes, les programmes de voiture écologique n’avaient pas pour motivation première de répondre à une demande du marché, mais nous pouvons alors nous interroger sur le fondement d’un tel engagement des constructeurs automobiles pour militer contre leur propre création, pour lesquels une demande existait.

 

 

III – Moins de prestation d’entretien pour les concessions automobiles

La raison est simple : si les constructeurs obtenaient un retour en gain d’image sur leur programme de développement de la voiture électrique, ils se sont rendu compte qu’ils réaliseraient moins de profit si les vehicules electriques étaient commercialisés.

En effet, la voiture electrique modifie largement la place des constructeurs automobiles dans la chaîne de valeur du véhicule individuel. Au niveau du véhicule, le moteur thermique a toujours été le cœur de la performance technique de la voiture thermique et des coûts de production. Ce qui a constitué le cœur de métier et l’élément de différenciation principal des constructeurs n’existe plus dans l’automobile électrique. Il est remplacé par une chaîne de traction dont les éléments (batterie et moteurs) sont externes au cœur de métier des constructeurs et même généralement externalisés de l’entreprise et de sa zone de profit. Avec la voiture électrique, les constructeurs risquent donc de perdre une partie de leur valeur ajoutée historique. Ils deviennent assembleurs de véhicules, en perdant une partie de la conception et de la production de la chaîne de traction, et distributeurs.

 

Chez GM, l’EV-1 électrique n’a pas fait le poids face au Humer

L'automobile propre est moins couteuse à l'entretient

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Le réseau de distribution des constructeurs automobiles est également impacté par la nouvelle équation économique écrite par la voiture électrique. Ce qui fait vivre le réseau de distribution des constructeurs, ce sont principalement les opérations de maintenance sur le parc de véhicules qu’ils ont commercialisé. Qu’il s’agisse de franchises ou de concessions en propre, l’activité d’entretien du véhicule est déterminante dans les performances des groupes automobiles.

Ce qui change avec le véhicule électrique, c’est que la voiture electrique s’affranchit en grande partie de ce besoin : il n’y a plus de vidanges à effectuer, de pot d’échappement qui se perce, de bougies d’allumage à changer. Environ 75% du chiffre d’affaire du réseau des constructeurs est réalisé par les opérations d’entretien courantes. Pour distribuer les véhicules électriques, les constructeurs sont donc obligés de réorganiser structurellement leur positionnement. Ils doivent inventer de nouveaux modes de commercialisations, de nouveaux services de maintenance et de fidélisation des consommateurs de voitures électriques. Les constructeurs automobiles sont également dans l’obligation de se positionner sur les nouveaux segments de la chaîne de production  de la voiture électrique vers lesquels la valeur ajoutée est portée. Les géants de l’industrie automobile opposent malheureusement une forte résistance au changement : il a par exemple fallu attendre des années pour que les ceintures de sécurité, puis les airbags ou encore des normes environnementales, soient adoptés.

Aussi exaltante et populaire que puisse être la mise en place d’un programme de développement de voitures électriques, sa mise sur le marché impacte considérablement la chaîne de valeur de l’automobile et impose un changement profond des métiers des constructeurs. De deux choses l’une : le programme de développement du véhicule électrique intègre un volet stratégique sur une mutation du core business pour aller vers une commercialisation, ou alors le programme s’arrête et les voitures durables ne sont pas mises sur le marché. Jusqu’à aujourd’hui, les constructeurs automobiles ont systématiquement tué dans l’œuf leurs innovations électriques, préférant cette issue à une évolution de leur cœur de métier.

Ainsi, la fin de l’histoire de l’EV 1 s’arrête en 2000, date à laquelle GM stoppe son programme de voitures électriques malgré une demande existante des consommateurs. En même temps, GM rachète la marque Humer et ses modèles aux moteurs thermiques surpuissants, reproduisant à l’extrême le modèle empirique de l’activité économique des constructeurs automobiles.